Monsieur le Président,
Le Groupe Parlementaire PDCI-RDA, profondément attaché à la reconstruction d’une Côte d’Ivoire réconciliée et rassemblée dans un Etat de droit a examiné avec un grand intérêt le projet de loi portant ratification de l’ordonnance N° 2018-669 du 6 aout 2018 portant amnistie.
En effet, l’amnistie se définit comme l’acte qui dispose que des fautes passées devront être oubliées et qui interdit à quiconque de les rechercher ou de les évoquer sous peine de sanctions. Elle constitue ainsi une mesure de pardon de la Nation en vue de garantir la paix et la cohésion sociale entre tous ses filles et tous ses fils : c’est surtout une mesure d’apaisement social à la fin d’un conflit.
C’est dans ce sens que le Président de la République a annoncé, au cours de son discours à la Nation du 06 aout 2018. qu’il avait procédé à la signature d’une ordonnance portant amnistie au bénéfice d’environ huit cents (800) de nos concitoyens, poursuivis ou condamnés pour des infractions en lien avec la crise postélectorale de 2010, ou des infractions contre la sûreté de l’Etat commises après le 21 mai 2011, date de sa prestation de serment en qualité de Président de la République.
Le Groupe parlementaire PDCI-RDA se réjouit de la volonté du Président la République d’œuvrer ainsi à la décrispation du climat politique. Il le félicite pour cette mesure d’apaisement, préalable à la réconciliation véritable des Ivoiriens et à la paix durable en Côte d’Ivoire.
Mais, fidèle à sa tradition de pardon, le Groupe parlementaire PDCI-RDA rappelle que l’histoire de la République de Côte d’Ivoire a été jalonné de nombreuses crises dont la résolution définitive a nécessité l’adoption d’une loi d’amnistie. Il s’agit notamment de :
1. La loi n°59-43 du 6 mai 1959 portant amnistie en Côte d’Ivoire, visant tous les faits commis avant le 4 décembre 1958 ;
2. La loi n°60-242 du 27 juillet 1960 portant amnistie des infractions commises antérieurement à l’Indépendance ;
3. La loi n°85-1195 du 5 décembre 1985 portant amnistie. des fautes commises antérieurement au 7 décembre 1985 ;
4. La loi n°92-465 du 30 juillet 1992 portant amnistie des infractions commises antérieurement au 24 juillet 1992 à l’occasion de la réinstauration et de la pratique du multipartisme, et notamment la marche du 18 février 1992 ;
5. La loi n°94-499 du 06 septembre 1994 portant amnistie des infractions commises antérieurement au 20 août 1994 ;
6. La loi n°98-743 du 23 décembre 1998 portant amnistie des infractions commises dans le cadre des manifestations dites du « boycott actif » de l’élection présidentielle du 22 octobre 1995 ;
7. La loi n° 2003-309 du 8 août 2003, amnistiant les infractions contre la sûreté de l’Etat dénoncées depuis les événements des 17 et 18 septembre 2000, celle en relation avec la crise armée du 19 septembre 2002 ainsi que les faits connexes audites infractions :
8. L’ordonnance n° 2007-457 du 12 avril 2007 portant amnistie des infractions contre la sûreté de l’Etat et de la défense nationale, ainsi que les infractions connexes commises par les nationaux ivoiriens se trouvant sur le territoire national ou en exil, entre le 17 septembre 2002 et le 12 avril 2007.
Comme on peut le constater, dans tous les cas cités ci-dessus, l’amnistie a visé les infractions commises quelle que soit l’identité ou les fonctions de leurs auteurs.
Or l’ordonnance du 06 aout 2018 ne vise pas les infractions contre la sureté de l’Etat commises après le 21 mai 2011, mais plutôt certaines personnes, à l’exclusion de celles en procès devant une juridiction pénale internationale, ainsi que les militaires et les membres des groupes armées.
Le Groupe parlementaire PDCI-RDA estime que cette discrimination opérée est de nature à compromettre l’objectif de l’amnistie, c’est-à-dire l’oubli des fautes commises.
Au demeurant, pourquoi la Nation serait-elle prompte à accorder son pardon aux civils, responsables politiques qui sont les donneurs d’ordre, et le refuserait aux militaires, qui sont des exécutants. Au surplus, les principaux chefs de commandements de l’Armée, de la Gendarmerie et de la Police n’ont pas fait l’objet de poursuites en raison des infractions commises à l’occasion de cette crise postélectorale.
Il s’agit donc de maintenir dans les liens de la Justice uniquement ceux qui, au bout de la chaîne, ont exécuté des ordres provenant de la hiérarchie militaire et politique.
En outre, il n’a pas échappé au Gouvernement que la prise de cette ordonnance, en dépit de l’espoir qu’elle a suscité, a soulevé des protestations de certaines organisations de protection de droits de l’homme et de partis politiques qui ont estimé qu’un tel acte ne devait être adopté que par une loi.
En effet, puisqu’il s’agit d’accorder le pardon de la Nation, un projet de loi aurait dû être soumis et adopté par les Députés, représentants de la Nation.
Par ailleurs, la prise de cette ordonnance sur le fondement de l’autorisation donnée par [Assemblée nationale au Président de la République de prendre par ordonnances pendant la gestion 2018, des mesures relevant du domaine de la loi, pour l’exécution de son programme en matière économique et financière, au travers de l’article 12 de la loi N°2017-870 du 27 décembre 2017 portant budget de l’Etat pour l’année 2018 est critiquable à tout point de vue.
Par ailleurs, la prise de cette ordonnance sur le fondement de l’autorisation donnée par [Assemblée nationale au Président de la République de prendre par ordonnances pendant la gestion 2018, des mesures relevant du domaine de la loi, pour l’exécution de son programme en matière économique et financière, au travers de l’article 12 de la loi N°2017-870 du 27 décembre 2017 portant budget de l’Etat pour l’année 2018 est critiquable à tout point de vue.
En effet, la matière économique et financière ne peut être extensible à souhait. Toutes les affaires publiques ont une incidence économique ou financière la santé, l’éducation, le logement, les relations internationales, la Sécurité et la défense etc… Mais elles ne peuvent être entendues comme des affaires économiques ou financières pour lesquelles les Députés ont autorisé le Président de la République à légiférer par ordonnance ; loin s’en faut.
L’exposé des motifs est tout à fait aligné sur cette position quand il indique que, et je cite «il reste entendu que bien qu’ayant une forte incidence économique, cette mesure n’en demeure pas moins un acte politique majeur … ». Page 2 paragraphe 8.
Il s’agit bien d’un acte politique qui a une incidence économique et non d’un acte économique qui une incidence politique. C’est donc à juste titre que l’Assemblée nationale a attribué l’examen de ce projet de loi à la Commission des Affaires Générales et Institutionnelles et non à la Commission des Affaires Economiques et Financières.
Au regard des arguments développés ci-dessus liés au caractère non inclusif de cette amnistie, à la nature inappropriée et au fondement juridique contestable de l’acte. le Groupe parlementaire PDCI-RDA se déclare non favorable à la prise en considération de l’exposé des motifs du présent projet de loi dont il demande le retrait pur et simple.
Le Groupe parlementaire PDCI-RDA entend soumettre dans les meilleurs délais à l’Assemblée nationale une proposition de loi portant amnistie des infractions liées à la crise postélectorale de 2010 et à ses infractions connexes.
En tout état de cause, l’ordonnance du 06 août 2018 a déjà produit ses effets et le Président de la République ayant déposé le projet de loi de ratification devant [Assemblée nationale avant la fin de la session parlementaire, conformément à l’Article 106 de la Constitution, elle ne court aucun risque de caducité.
Fait à Abidjan, le 10 décembre 2018 Le Groupe parlementaire PDCI-RDA
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